Retour sur la journée des pétitionnaires consacrée à l'effectivité des droits sociaux

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Travaux et auditions
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Un droit social, c’est un droit qui est indispensable à tout être humain pour mener une vie digne et autonome : le droit à l'alimentation, à la santé, au logement, ou encore à l'éducation. En France, ces droits sont loin d'être effectifs pour toutes et tous. Dans ce contexte, quels sont par exemple les points de convergence entre les difficultés d'accès au RSA et les difficultés d'accès aux allocations de la CAF ? C'est une des questions posées par la Commission Affaires sociales et Santé du CESE, qui recevait pour y répondre 9 pétitionnaires ayant lancé des pétitions sur le sujet de l'accès aux droits sociaux en France. Le CESE assure en effet une veille des pétitions qui ne lui sont pas directement adressées, afin d’observer les attentes de la société entrant en convergence avec son champ de compétences.

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Une ineffectivité des droits sociaux

Trois pétitions pour trois situations différentes

Anya est mère de 5 enfants. A la suite de son divorce, une garde alternée est décidée : une semaine chez son ex-mari, ayant un emploi et un salaire stables depuis plus de 5 ans ; une semaine chez Anya, qui de son côté dans une situation plus précaire car elle doit recommencer à travailler. Problème à l'époque, les aides (allocations familiales, APL...) sont calculées pour un foyer avec 6 personnes , et c'est l'ex-mari d'Anya qui touche exclusivement l'intégralité des aides. Anya doit pourtant subvenir aux besoins de ses 5 enfants et aux siens une semaine sur deux. Elle dénonce cette situation en lançant en 2019 une pétition qui recueille aujourd'hui plus de 37 000 signatures.

La mère d'Enzo touche le RSA : elle ne peut pas occuper d'emploi, car elle doit s'occuper du frère d'Enzo qui est en situation de handicap. Celui-ci dépend entièrement de sa mère aidante. Début 2023, le Gouvernement annonce une mesure soumettant le versement du RSA à 15 à 20 heures de formation ou d'activité par semaine. Mais si la mère d'Enzo doit travailler 15 à 20 heures par semaine, qui s'occupera de son frère en situation de handicap ? En avril 2023, à 17 ans, Enzo lance une pétition pour mobiliser autour de ce qu'il considère comme étant une injustice : "Les personnes au RSA ne le sont pas par choix. Ce sont des aidants, des personnes malades, des gens en attente d'une décision de la MDPH." Elle recueille à date plus de 35 000 signatures.

En France, plus d’un jeune sur cinq de 18 à 25 ans vit sous le seuil de pauvreté : cela représente 1,5 million de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation. Houari et Nadir ont 18 ans. Ils expliquent : "Jusqu’à 25 ans, les aides aux familles sont généralement dirigées vers nos parents, et tiennent compte de leurs revenus. Dès qu’un jeune qui habite chez ses parents commence à travailler, dans un système familialisé, les salaires du jeune sont intégrés dans les revenus du foyer et font baisser le montant des aides. Sur le principe, c’est normal, mais comment épargner pour préparer son départ dans ce contexte ?" Ils lancent alors avec un collectif leur pétition sur la plateforme du CESE.

"Effectivité" ou "non-recours" ?

Selon le Commissaire aux droits de l'Homme, un droit social est un droit qui est indispensable à tout être humain pour mener une vie digne et autonome. Le terme de "non-recours" aux droits sociaux et aux aides revient souvent dans le débat public. Pourquoi la Commission Affaires sociales et santé du CESE préfère-t-elle le terme d' "effectivité" ?

Anya a demandé des aides mais ne peut pas les toucher : sa situation de précarité avant la fin de sa formation peut-elle lui permettre de mener avec ses enfants une vie digne et autonome sans aucune aide ? La mère d'Enzo doit s'occuper de son fils en situation de handicap et ne peut pas s'absenter 15 à 20 heures par semaine : si elle ne peut plus toucher le RSA, lui permet-on de mener une vie digne et autonome ? Houari et Nadir vivent chez leurs parents mais n'ont pas les moyens de quitter le foyer familial : peuvent-ils se lancer de manière autonome dans leur vie d'adulte ? 

Toutes ces questions ont un point commun : l'ineffectivité des droits sociaux. L'absence ou le non-accès aux aides ne menacent pas l'existence de ces droits à l'alimentation, à la santé, au logement : ces derniers sont consacrés, notamment par l'ONU. C'est leur réalité, leur concrétisation, leur effectivité qui risque de ne plus advenir si les aides ne sont plus versées.

Un non-accès aux droits sociaux avec des points de convergence

Ces trois situations, pourtant différentes, ont-elles d'autres points communs que leur ineffectivité ? C'est toute la question posée par la Commission Affaires sociales et Santé du CESE le 5 avril dernier : Anya, Enzo, Houari et Nadir, aux côtés de cinq autres pétitionnaires, ont été invités à venir s'exprimer au Palais d'Iéna sur le sujet. 

Durant cette journée d'échanges, 2 constats principaux ont émergé : 

  1. On ne connaît plus les droits auxquels on est éligible : l'assistance existe aujourd'hui sur l'accès numérique aux démarches de demande aux droits, mais pas sur la nature même des aides auxquelles on a droit.
  2. Les procédures d'accès aux droits sont de plus en plus déhumanisées et complexes, car de plus en plus digitalisées, ce qui pose problème pour des populations qui n'ont souvent pas accès à l'outil numérique.

Sur cette base, les 9 pétitionnaires ont pu proposer des pistes de solutions pour une meilleure effectivité des droits sociaux :

  • Ouvrir des guichets uniques, accessibles à toutes et tous et permettant de traiter l'ensemble des démarches pour tous les droits sociaux 
  • Lutter contre les ruptures de droits qui durent parfois plusieurs mois, en continuant à verser les aides jusqu'à la décision de réévaluation de leur montant
  • Limiter une conditionnalité des aides qui appelle à de multiples documents, afin de simplifier les démarches d'accès et favoriser la pleine effectivité des droits sociaux

Les travaux de la Commission Affaires sociales et Santé continuent : l'avis sera voté le 27 novembre prochain.

Retrouvez la note de saisine de la Commission

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