Pour un renouveau des pédagogies de l'alternance

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Vie de l'assemblée
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Une nouvelle saisine de la section de l'éducation, de la culture et de la communication
Chapeau
L’alternance concerne les formations qui impliquent un enseignement en cours et un apprentissage sur un lieu de travail en situation d’exercice d’un métier.
 
Le Président de la République a relancé récemment avec force la volonté d’une politique ambitieuse de l’apprentissage et, à cette occasion, certains observateurs ont parlé de « culture de l’alternance ».
Corps
Pourtant ce jour-là, comme dans l’importante loi de 2014 sur la formation professionnelle, il a été beaucoup question de dispositifs pertinents de l’apprentissage, mais très peu de la pédagogie de l’alternance.
 
Or, divers sondages montrent que maîtres de stage et stagiaires ou apprentis souffrent souvent d’un décalage entre les cours et les mises en situation professionnelle.
 
Quand on parle de pédagogie de l’alternance, tant au niveau des Commissions Professionnelles Consultatives qu’à celui des rencontres fréquentes d’enseignants et de maîtres de stages ou tuteurs sur le terrain, le but premier est de s’efforcer de coordonner les savoirs scolaires et les activités professionnelles de la personne en formation. Certes, il faut le faire, quant aux programmes, aux référentiels, aux prérequis, etc. Cependant ce projet d'avis du CESE s’interrogera, prioritairement sur une meilleure mise en oeuvre de la gestion pédagogique de l’altérité (en l’occurrence la différence école/métiers) : la rupture ressentie du temps scolaire et du temps professionnel n’est-elle pas une richesse éducative si le stagiaire et l’apprenti sont accompagnés dans ce passage difficile ?
 
Fusionner dans une même démarche pédagogique la « culture scolaire/ universitaire » et la « culture d’entreprise » serait vain et «contre-productif ». Une pédagogie de la médiation entre les deux cultures (scolaire et professionnelle) n’est peut-être pas tant une pédagogie scolaire revisitée d’un côté, et une correction des didactiques des professionnels-tuteurs de l’autre côté, qu’une pédagogie de l’interface, du va-et-vient entre milieux scolaire et professionnel. Cette pédagogie doit accompagner le dépaysement pour que l’apprenti ou le stagiaire ne soient pas déconcertés et perdus. Cet accompagnement ne doit-il pas sensibiliser l’élève au changement de contextes, de codes, d’éléments de langage, de ressentis et du relationnel, de finalités économiques plus ou moins pressantes, de temporalités, de climat social, etc. ?
 
De plus, tout ce que l’apprenti ou le stagiaire doit faire à tel moment précis dans l’entreprise n’a pas été « vu » en cours qui, lui, se déroule sur une durée et implique une progressivité des apprentissages. Professeurs et maîtres de stage ne peuvent-ils pas prioritairement mieux avertir les « élèves » du caractère normal de cette difficulté ? De même l’apprenti ou le stagiaire ne doivent-ils pas s’approprier l’idée que chaque lieu de travail est un écosystème singulier tandis que le savoir scolaire est une connaissance plus ou moins générale valable ici ou ailleurs ? Ne faut-il pas convaincre l’apprenti et le stagiaire que le savoir scolaire est indispensable, non seulement pour comprendre, mais parce qu’il est lui-même porteur de potentialités d’adaptation à des situations nouvelles, qu’il s’agisse de connaissances techniques ou des disciplines d’enseignement général ? Souvent en CFA ou en grandes écoles et même en lycée professionnel et BTS, les enseignants sont des professionnels ou ont des contacts réguliers avec les professionnels. Cela empêche-t-il vraiment le décalage entre l’acquis progressif à l’école et les prérequis multiples et instantanés de l’activité professionnelle ? Autant de questions qui mettent en évidence que cours et stages peuvent rarement être exactement concordants. Et pourtant, à terme, ils s’enrichissent mutuellement.
 
L’impression que la coordination entre les deux « apprendre » ne se fait pas très bien ne doit donc pas trop décevoir les acteurs de la formation en alternance. Bref, la pédagogie de l’interface n’est peut-être pas seulement celle des coordinations des apprentissages mais aussi celle d’une gestion de l’altérité de cultures différentes. S’agit-il de rendre absolument semblables les deux temps (éducation/métiers), ou de mettre en évidence les raisons de leurs différences et de leurs complémentarités ? N’est-ce pas le va-et-vient entre le scolaire et le professionnel qui peut générer la maîtrise du métier, voire l’innovation, surtout chez l’apprenti ?
 
L’enjeu dépasse sans doute la seule réussite de l’apprentissage en alternance dans la lutte contre le chômage par une meilleure employabilité. La pédagogie de l’interface dans l’alternance n’est-elle pas une acculturation de divers modes de pensée, d’agir et de ressentir ? Une acculturation de l’ici et de l’ailleurs ? Elle peut ainsi ouvrir sur une vraie culture « générale », une culture plurielle qui englobe les langages, les vécus et méthodes de diverses catégories socioprofessionnelles. A partir de là, le projet d'avis devra inviter les responsables de toute formation (y compris les filières générales) à être très attentifs à ce que l’alternance puisse être considérée comme un moyen du « travailler ensemble » et du respect de l’autre.
 
Le projet d'avis devra alerter les décideurs et les acteurs des formations en alternance sur « l’urgence de prendre le temps » de bâtir des méthodes concertées qui prennent acte, sans amertume, des différences assumées des cultures scolaire et professionnelle, pour en tirer les conséquences pédagogiques. Au-delà de l’alerte, l’avis devra proposer des esquisses d’une pédagogie de l’interface, de la médiation, qui implique la coordination école/métiers, mais aussi l’information des « élèves », de l’amont à l’aval de l’alternance, sur les différences culturelles nécessaires et complémentaires des contextes de l’ « apprendre ».
 
  • Rendu des travaux : 13 octobre 2015 

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