Discours du Président Patrick Bernasconi - Conférence annuelle du CESE

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Vie de l'assemblée
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Le 27 juin 2018
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Le 27 juin, le CESE organisait la deuxième édition de sa conférence annuelle consacrée à la réforme constitutionnelle. Le Président du CESE, Patrick Bernasconi, a prononcé une allocution à cette occasion. 

Corps

Mesdames, Messieurs les membres du Conseil, 

Madame la Garde des Sceaux,

Merci de votre présence, merci de votre intervention qui va conclure cette journée.

Il s’agit certainement de l’une des premières interventions d’un Garde de Sceaux devant notre conseil, j’en suis heureux, c’est un honneur.

Un honneur du fait de vos fonctions, mais aussi car dans quelques jours, vous allez porter au nom du Gouvernement, devant la représentation nationale, le projet de réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République.

Ce moment est solennel, il l’est à deux titres.

Tout d’abord nous sommes très exactement à mi-mandat.

Nous avons été désignés comme conseillers du CESE en décembre 2015, nous sommes en juin 2018, notre mandat se termine en novembre 2020.

Comme notre règlement intérieur, le prévoit, et nous l’avons désiré ainsi l’an passé, nous devons rendre des comptes, ce sera notre bilan de mi-mandat.

Mais ce n’est pas le jour, nous y travaillerons ensemble en septembre et nous lui donnerons la publicité qu’il mérite.

Toutefois je désirais dès maintenant vous remercier pour le travail que nous avons accompli ensemble, car, depuis décembre 2015, nous avons beaucoup fait.

Bien entendu tout ne se voit pas, ou ne se voit pas encore, mais depuis décembre 2015 nous n’avons jamais arrêté de progresser, nous n’avons jamais baissé les bras devant les critiques, certaines fondées, beaucoup injustes, nous n’avons jamais  cédé au fatalisme, nous avons toujours cherché à avancer avec opiniâtreté, à convaincre de la justesse de la place de la société civile organisée et de la vision qu’elle porte.

Vous m’avez élu sur un programme de réforme de notre institution, sur un projet collectif. 

Dans notre projet d’action réformatrice il y avait l’instauration de cette conférence du CESE.

Initialement, l’idée était de permettre aux formations de travail de réorienter leurs travaux de l’année à venir en tenant compte  de leurs réflexions  passés, mais aussi des circonstances politiques et de la vie de notre pays. Notre première édition l’an passé est tombée à point nommé, elle a permis au nouveau Premier Ministre de venir présenter, et c’était une première pour notre Conseil, son programme, nous dire quelle place il désirait que nous y prenions. Cette venue a été un signe pour le CESE, nous l’avons pris comme tel.

Cette implication de notre Conseil dans la vie gouvernementale nous a permis de jouer notre rôle constitutionnel, celui d’« éclairer les pouvoirs publics ». Car tel est notre rôle, et tel il doit le
rester : pas plus pas moins.

Durant toute la première année de notre mandat nous avons rencontré la quasi-totalité des responsables politiques ; nous étions je vous le rappelle en pleine campagne des primaires de gauche comme de droite, puis des présidentielles : nous devons tous nous en souvenir, à l’époque, la majorité des candidats, toutes tendances confondues, pensaient nous supprimer.

Ce programme de changement que nous avons initié de le début de notre mandature, cette ambition commune, a rencontré la volonté de réforme du Président de la République élu, qui dès son discours devant le Congrès de la Nation le 3 juillet dernier nous a indiqué le chemin qu’il nous proposait de suivre, en nous disant clairement qu’il faisait le choix de ne pas proposer de nous supprimer, mais au contraire en décrivant le rôle qu’il souhaitait nous voir jouer, un rôle renforcé avec des moyens nous permettant de remplir nos missions.

Voilà la seconde raison pour laquelle j’estime ce discours solennel.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins.

Nous sommes aujourd’hui devant nos responsabilités.

Nous sommes aujourd’hui devant notre avenir, pas notre avenir individuel qui importe peu, mais celui de la place de la société civile organisée que nous représentons dans la vie de notre pays et singulièrement dans la vie institutionnelle de notre pays.

Une institution ne vaut que pour ce qu’elle apporte au pays qu’elle sert. 

Tel a toujours été notre vision partagée même si, ici même et maintenant, je le dis avec plus de force, plus de solennité.

Le Président de la République propose au pays  une réforme de son texte fondamental. 

Je ne porterai pas de jugement, ce n’est pas mon rôle, sur ce qui ne concerne pas le Conseil, si ce n’est qu’une constitution est un « objet » vivant, et comme tout être vivant il doit évoluer avec son temps, avec ce qui l’entoure, la société, la pratique qui en est faite.

En ma qualité de président du CESE, je ne parlerai que du projet qui nous est proposé et qui dans 11 jours sera débattu publiquement par les députés.

Ce projet de réforme je ne l’aborderai pas par le détail des propositions vous les connaissez par cœur ; en revanche je l’aborderai sous l’angle de  ses objectifs.

Tout d’abord et avant tout, cette réforme est ambitieuse. 

Devons-nous nous en plaindre ? 

Manquons d’ambition, d’autres en auront pour nous, notamment celle de nous supprimer, n’en doutons pas.

L’évolution de la démocratie, son renforcement, les attentes de nos concitoyens nous fixent des objectifs auxquels nous devons répondre, car c’est là le rôle des institutions, et nous devons le faire en gardant présent à l’esprit que l’essentiel, c’est-à-dire l’assemblée de la société civile organisée, cette singularité qui est la nôtre est un avantage démocratique dont le principe doit être préservé et pour cela s’adapter.

Au-delà de cette ambition générale, je veux vous parler de :

  • L’ambition de la cohérence, et de l’efficacité,
  • L’ambition du futur, 
  • L’ambition de la place de la société civile.

Quand il est proposé au Conseil, quel que soit le nom qu’il portera - du moment que celui-ci reflète notre réalité, notre place et notre rôle - d’être saisi de tout projet de loi de notre ressort, économique social, environnemental, c’est l’ambition de la cohérence et de l’efficacité.

Pourquoi ?

Aujourd’hui des dizaines de comités se voient soumis les textes de lois, ces comités sont composés à 95% de représentants d’organisations…que vous représentez ! Parfois ces comités rendent des avis contradictoires, leurs avis ne sont pas globalisés, mis en cohérence. Quelle débauche d’énergie, de moyens.

Bien entendu chacun de ces avis a toute sa valeur, mais hélas, ne s’intègre pas dans une cohérence d’ensemble apportée au gouvernement et aux assemblées législatives.

Il nous est proposé de donner cette  cohérence et de présenter en amont du Conseil des Ministres l’avis, positif ou non, réservé ou non, de la société civile organisée. Nous le faisons déjà ! Mais tous en ordre dispersé, quasi clandestinement.

Certains parlementaires s’inquiètent de ne plus avoir la primauté de la connaissance globale du texte en premier lieu. Je les comprendrais s’il s’agissait d’une nouveauté mais, cela est déjà le cas : le CESE est déjà consulté sur toutes les lois de programmation, et les organismes dont je viens de parler le sont sur les autres projets de loi. 

Enfin nous n’intervenons pas dans la fabrique législative de la loi, nous éclairons les décisions que vont devoir prendre les parlementaires ; nulle concurrence, nulle confusion des genres ; nous restons dans le rôle qui est déjà le nôtre mais en faisant en sorte que le travail préalable soit mieux organisé, donc plus lisible pour la représentation nationale. Apres notre avis, le Parlement dispose, il en tient compte ou non, c’est la vertu de notre caractère consultatif : consultation n’est pas obligation de suivre !

Par ailleurs certains, y compris dans nos rangs, craignent la submersion par les textes.

Pour ma part, soyons clairs, je ne partage pas cette crainte, même si je sais que cela nous demandera des efforts supplémentaires, des adaptations, une réorganisation et aussi, le, Gouvernement ne devra pas l’oublier, une adaptation de nos moyens.

Tout d’abord et je le réaffirme, notre capacité d’auto saisine sera préservée, elle est essentielle, et il n’a jamais été question de la remettre en cause.

Par ailleurs, qu’une institution se voit proposer des responsabilités supplémentaires est un honneur pour elle, une reconnaissance de la place qu’elle peut occuper dans le pays.

Donc cohérence, responsabilité.

L’ambition du futur :

Je salue les réflexions qui ont porté sur ce qui a été appelé la  chambre de futur.

Je fais partie de ceux qui estiment que la réflexion institutionnelle est indispensable pour progresser.

Le projet de chambre du futur comprenait  certains  aspects d’une très grande modernité qui ont été  repris par le Président de la République. Il nous est proposé de travailler sur les conséquences sur le long terme des décisions publiques, c’est enthousiasmant.

Depuis le congrès du 3 juillet je rencontre des responsables d’institutions scientifiques, et qui tous me disent la même chose :

Nous voulons travailler avec vous, car nous avons l’expertise, vous pouvez la confronter à la société civile organisée, sans cette confrontation nos avis ne portent pas, ou pas assez.

Les états généraux de la bioéthique se sont déroulés durant des mois. Le professeur Delfraissy qui les présidait et que j’ai rencontré à différentes reprises m'a fait savoir que parmi la multitude des sujets qu’ils avaient évoqués, pour certains, ils estimaient difficile de les traiter car il fallait, non pas une expertise, mais un éclairage de la société civile, il y avait une nécessité de confrontation, d’avis. Cet enjeu est formidable nous devons le saisir.

L’ambition de la société civile :

Nous sommes l’assemblée de la société civile organisée.

Nous le proclamons, mais nous devons le faire en ayant pleinement conscience de nos responsabilités mais aussi de nos faiblesses.

Nous avons vocation à rassembler toute la société civile organisée, et bien faisons en sorte que cela soit encore plus effectif. 

Nous allons devoir le faire avec moins de conseillers, oui car à l’instar de l’Assemblée et du Senat nous verrons notre nombre de conseillers baisser!Mais, une limite ne doit pas être franchie, il s’agit de la limite de l’efficacité, c’est-à-dire  de la conservation d’une colonne vertébrale qui  nous permet de jouer notre rôle d’assemblée.

Mais nous le savons bien, des organisations ne sont pas assez, voire pas représentées parmi nous. Soyons audacieux et trouvons les moyens avec moins de conseillers de représenter plus et mieux.

Inventons, inventons de nouveaux modes de travail et d’association : nous en avons la possibilité justement car nous ne sommes pas législatifs. Le chef de l’Etat a dit : soyez tête de réseau. Il a raison. Soyons tête de réseau.

De la même façon n’ayons pas peur des citoyens. Avoir peur des citoyens c’est se condamner à entrer en contradiction avec eux et je vois trop, comme vous, ce que cela peut donner à l’extérieur de nos frontières, en Europe même.Nous devons intégrer le fait que désormais les citoyens ne se contentent plus de voter tous les 5 ans sans donner leur avis entre deux élections ! Regardons ce qu’ont fait les maires de France avec une grande intelligence. Il y a 20 ans ils se sont trouvés confrontés à l’irruption de comités de quartiers, de citoyens, que sais-je encore…Remise en cause de leurs mandats, du suffrage universel, crime de lèse-majesté ! Désormais, les maires ont totalement intégré la démocratie participative, et en maitrisent les fonctionnements mieux que nous. Les maires ont-ils disparus ? Il me semble qu’ils résistent bien…La démocratie locale est-elle mise à bas ? Les maires sont plébiscités par les français ! Prenons exemple ! Ils ont intégré la démarche citoyenne sans permettre à celle-ci de remettre en cause leur légitimité démocratique.

Le citoyen nous le voyons de plus en plus, et pas qu’en France, se détourne des structures dites « traditionnelles » ; peut-être convient ils que nous nous interrogions ? Les partis politiques traditionnels dans notre pays ont je crois tardés à le faire…

Et si en associant mieux les citoyens à nos travaux, nous leur montrions ce qu’est réellement la société civile organisée et leur donnions envie de la rejoindre.

N’oublions pas qu’aujourd’hui la force d’une démarche citoyenne y compris anonyme au départ peut tout balayer sur son passage ; qui d’entre nous condamne le mouvement Me Too ?  Notre devoir est de réfléchir à ces questions afin  que demain ces spontanéités ne deviennent pas l’objet de manipulations. Le fait que nous ne soyons ni de droite ni de gauche, que nous soyons les représentants de si nombreuses organisations citoyennes aux objectifs si différents mais dont la finalité est la même  nous ouvre des portes que nous ne pouvons refermer, des responsabilités que nous ne pouvons refuser.

Cette question de la société civile est une question grave, importante.

Certains parlementaires nous disent, « c’est nous qui représentons la société civile, nous en sommes issus », encore plus dans cette législature.

Ils ont raison. Loin de nous l’idée de mettre en œuvre une concurrence sur qui représente le mieux, le plus, le citoyen ! Faisons en sorte tous collectivement de bien le représenter, dans sa complexité, dans ses intérêts parfois contradictoires.

La société civile organisée représente les citoyens qui sont organisés au sein de structures qui portent leurs espoirs en tel ou tel domaine.

Les débats passionnants qui ont traversé les siècles sur ces notions de société civile peuvent je crois se résumer à deux grandes notions :

  • L’opposition entre la société de nature et la société civile organisée, nous pourrions résumer cela à la question de la démocratie directe. Je crois que nous en mesurons tous les dangers.
  • La concurrence entre la société civile organisée et la société « politique ».

Pour moi ce débat n’a plus lieu d’être. Notre société politique est solide, elle a son rôle, elle doit le jouer complètement, et ne souffre aucune concurrence. 

En revanche l’état de maturité à laquelle notre démocratie est arrivée nous démontre bien l’importance qu’apportent nos concitoyens aux organisations qu’ils rejoignent, temporairement ou non et qui les rassemblent sur des sujets qui ne sont pas politiques au sens droite-gauche, mais qui n’en constituent pas moins notre quotidien social, économique, environnemental, associatif.

Il est temps que les deux sociétés construisent ensemble, il est temps que la société civile organisée, à sa place, puisse dans une mécanique parfaitement huilée, « apporter » à la société politique à qui il revient de décider, car issue du suffrage universel , seul et unique juge de paix.. 

Nous ne sommes pas concurrents, nous ne pouvons pas l’être. Nous sommes des compléments au sein d’un édifice complexe et évolutif, celui de la démocratie.

Croyez bien que je ne me place pas ici dans une quelconque position  de suivisme à l’égard de qui que ce soit, uniquement en position de responsabilité. En position de responsabilité à l‘égard de la société civile organisée, à l’égard des institutions, à l’égard du pays. En tant que président de la 3eassemblée constitutionnelle j’ai ces responsabilités, même si je ne suis pas ce que l’on appelle « un homme politique ».

Je porte ces responsabilités avec vous.

Je suis fier d’être conseiller du CESE, je suis fier d’être le Président du CESE.

J’ai conscience de ce que nous faisons pour notre pays, j’ai une grande conscience de ce que nous pouvons faire pour lui, car nous avons une place à tenir, une place modeste, je le dis et le répète, mais dans le combat permanent de la défense de nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, chaque institution a sa place à tenir, telle une unité militaire, car ces idées de liberté , d’égalité , de fraternité, de laïcité, de tolérance, nous en sommes nous aussi, société civile organisée porteurs et défenseurs.

Nous le voyons bien, chaque jours les attaques du quotidien contre ces valeurs partagées qui sont les nôtres se répètent, insidieusement.

Nous participons de la vigueur de la réponse démocratique.

Regardons bien notre pays, regardons bien le monde. Pendant des années, avant la chute du mur, puis après la chute du mur, rien ne se passait, l’histoire disaient certains s’était arrêtée... Depuis quelques temps, l’histoire s’est remise en route. Le monde fait face à  des menaces grandissantes, nos concitoyens sont confrontés à des peurs nouvelles ou renaissantes : défis écologiques, conséquences migratoires des guerres et des changements climatiques, irruption  de l’intelligence artificielle, terrorisme, harmonie sociale à réinventer ; chacun  à notre niveau nous devons y répondre. 

Pour ma part j’estime que le rôle du Conseil que je préside est d’apporter sa contribution à cette réponse.

Cela est à notre choix, cela est désormais à la décision du Parlement.

Je vous remercie.

Patrick Bernasconi, le 27 juin 2018.

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