Intervention du conseiller Christian Vernaudon au Sénat

Catégorie
Travaux et auditions
Date de publication
Sous-titre
Séance du 17 janvier 2017
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Christian Vernaudon, rapporteur de l'Avant-projet de loi de programmation en faveur de l'égalité réelle Outre-mer adopté le 12 juillet 2016, a exposé au Sénat l'avis du CESE.

Le Premier ministre avait saisi, le 14 juin 2016, le CESE pour avis sur ce projet de loi. Si depuis lors, il a significativement évolué et s’est considérablement étoffé, les constats et recommandations du CESE ont permis d'éclairer les débats au Sénat. 

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"Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, permettez-moi, au nom de l’institution que je représente ici, de saluer l’initiative du président du Sénat de convier le Conseil économique, social et environnemental à exposer devant cette assemblée son avis sur le projet de loi qui lui est soumis aujourd’hui.

Je rappelle que, conformément à l’article 70 de la Constitution, le Premier ministre a saisi, le 14 juin 2016, le CESE pour avis sur le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer. Dans le respect de la lettre de saisine, nos travaux n’ont porté que sur le titre Ier du projet de loi et sur son étude d’impact. Les membres du CESE ont adopté le 12 juillet 2016 en séance plénière l’avis qu’en tant que rapporteur je suis chargé de vous présenter.

Depuis lors, ce projet de loi a significativement évolué et s’est considérablement étoffé. Pour autant, nos constats et recommandations restent, je le crois, d’actualité pour éclairer vos débats.

Dans son avis, le CESE a tout d’abord rappelé l’extrême hétérogénéité des onze collectivités ultramarines françaises. Cette diversité sans égale se manifeste tant par la géographie et l’histoire que par des situations démographiques, environnementales, économiques, sociales, culturelles et sociétales singulières. Elle existe, nous l’avons souligné, au sein même de plusieurs de ces collectivités.

Nous avons en outre constaté qu’il y avait aujourd’hui autant de statuts différents que de collectivités ultramarines, conséquence d’évolutions institutionnelles allant dans le sens d’une logique décentralisatrice et témoignant de la volonté du législateur de prendre en compte toute la diversité des outre-mer. C’est pourquoi il est question non plus de l’outre-mer, mais des outre-mer. Malgré l’éloignement avec l’Hexagone, le lien qui les unit est bien leur appartenance commune à la Nation et leur attachement aux valeurs de la République et à la France, qu’ils contribuent à faire rayonner dans le monde entier. C’est l’esprit même de l’article 72-3 de la Constitution, qui dispose que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ».

Dans un deuxième temps, le CESE s’est attaché à répondre à la question de la justification d’une nouvelle loi de programmation pour les outre-mer.

Comme le fait le Gouvernement dans son étude d’impact, comme vous l’avez fait, mesdames, messieurs les sénateurs, au sein de la délégation sénatoriale à l’outre-mer avec le rapport d’information des sénateurs Éric Doligé et Michel Vergoz du 9 juillet 2014 intitulé Les niveaux de vie dans les outre-mer : un rattrapage en panne ?, le CESE constate dans plusieurs de ces territoires des écarts de développement encore majeurs avec l’Hexagone, mais aussi en leur sein.

Au cours de nos travaux, nous avons établi que les écarts de développement les plus criants relèvent de problématiques d’accès à l’éducation, d’accès aux services publics et de la vie courante, d’accès aux soins, ainsi que d’accès à l’activité et à l’emploi.

Les indicateurs qui, par l’ampleur de leur écart avec la norme nationale, nous ont le plus interpellés sont les taux d’illettrisme, les taux de jeunes sans diplômes, les taux de chômage tant de l’ensemble de la population que des jeunes, ainsi que les taux de pauvreté. Tous se situent à des niveaux extrêmement préoccupants dans une grande partie des outre-mer.

Par conséquent, pour le CESE, ces cinq domaines – l’accès aux principaux services de la vie courante, l’accès à l’éducation, l’accès au travail, la pauvreté et la précarité des jeunes – justifient à eux seuls le projet de loi de programmation en faveur des Ultramarins.

Par ailleurs, le CESE s’est interrogé sur le concept d’« égalité réelle » et sur les conditions de son application à la pluralité des situations ultramarines. Nous avons à cet effet réuni en séminaire des personnes-ressources issues de nos territoires et des spécialistes des questions ultramarines. Lors de ces débats, plusieurs intervenants, dont Alain Christnacht et Pierre Steinmetz, ont rappelé qu’appliquer les mêmes moyens à des situations inégalitaires aux causes différentes ne permettait pas nécessairement d’atteindre réellement l’égalité et qu’il pouvait arriver un moment où l’égalité formelle devenait contraire à l’égalité réelle.

Le CESE a conclu que, eu égard à la diversité des situations des collectivités ultramarines, le principe d’égalité édicté par la Constitution ne peut pas être entendu et appliqué comme devant conduire à une égalité formelle en toutes circonstances, en toutes matières et en tous lieux de la République, et que c’est la conciliation du principe d’égalité avec ceux de liberté, de libre administration des collectivités territoriales, d’autonomie de gestion renforcée pour certaines d’entre elles, qui doit permettre de tendre vers un objectif d’égalité dans le respect de la diversité. Aussi, nous nous félicitons que le projet de loi, par application du principe de subsidiarité, valorise les possibilités d’habilitations législatives et d’expérimentations, ainsi que les propositions de modification ou d’adaptation de la réglementation.

Le CESE appelle à favoriser l’utilisation de ce type d’instruments, qui doit notamment permettre de lutter contre une prolifération de normes inadaptées à l’échelle territoriale, source à la fois de gaspillage de moyens financiers et d’obstacle au développement.

Les objectifs de la méthode, tels qu’exposés dans l’étude d’impact, à savoir une « intervention transverse de long terme et au plus près des réalités locales se traduisant par l’élaboration de plans de convergence élaborés et contractualisés à l’échelle de chaque territoire », nous semblent pertinents.

Dans cet esprit, le CESE recommande de retenir une méthode en quatre étapes, à respecter pour chacune des onze collectivités, dans le strict respect de leurs statuts, comprenant l’établissement d’un diagnostic partagé, l’élaboration d’un projet stratégique de développement durable, l’élaboration d’un plan de convergence et la négociation de contrats de convergence, ainsi que le suivi et l’évaluation des politiques publiques mises en œuvre pour les contrats de convergence.

Pour l’ensemble du processus, nous préconisons le recours à des démarches de démocratie participative associant l’ensemble des acteurs locaux concernés : l’État, tous les niveaux de collectivités territoriales, la société civile organisée.

L’ensemble de la démarche doit intégrer les dimensions économiques, sociales, environnementales et culturelles, dans le respect des objectifs de développement durable et des engagements internationaux pris par la France, lors de la COP 21 notamment. Il faut aussi impérativement intégrer un objectif de réduction des inégalités non seulement externes, entre chaque collectivité et l’Hexagone, mais aussi internes, au sein de chaque collectivité.

Enfin, le CESE préconise fortement que la loi précise les modalités d’articulation des plans et contrats de convergence avec les divers outils de programmation existants, notamment avec les contrats de plan État-régions pour les DROM et les contrats de développement pour les COM.

Le CESE a souligné la nécessité d’avoir deux niveaux d’indicateurs de suivi : d’une part, des indicateurs communs pour la mesure de la convergence comprenant notamment les dix nouveaux indicateurs de richesse prévus par la loi du 13 avril 2015, mais aussi quelques indicateurs communs, déjà disponibles, qui permettent de se comparer à l’échelle régionale et internationale ; d’autre part, des indicateurs de suivi et d’évaluation de chaque politique publique mise en œuvre dans chaque territoire.

Pour le CESE, les constats interpellent sur la nécessité de revisiter dans tous les outre-mer le modèle de développement durable apte à créer suffisamment de richesses supplémentaires et suffisamment d’occasions de travail pour réduire les taux de chômage.

Dans ce monde en plein bouleversement, les défis à relever sont immenses, mais les possibilités le sont également. Chaque collectivité ultramarine dispose d’une richesse patrimoniale naturelle et humaine exceptionnelle, qu’il convient non seulement de préserver, mais aussi de valoriser.

Le CESE a approuvé l’esprit de la méthode d’élaboration du projet de loi, consistant à définir à l’échelle de chaque collectivité ultramarine un projet de société à long terme, dans le cadre d’une démarche de démocratie participative, et en application du principe de subsidiarité. Aussi, l’enjeu principal pour la présente loi de programmation est non seulement de rappeler que les populations des outre-mer ont droit à l’égalité réelle au sein du peuple français, mais aussi de définir avec la plus grande clarté la bonne méthode et les bons outils pour que ce droit devienne demain plus réalité qu’aujourd’hui.

Je terminerai en reprenant cette citation concluant le rapport sur l’état de la France 2016 du CESE : « Le pays doit assumer ses contradictions, développer ses atouts pour les transformer en richesses futures, croire toujours en la France et l’aimer. 

Je vous remercie de nouveau d’avoir permis au Conseil économique, social et environnemental d’exposer devant vous son avis."

Voir la séance en vidéo.

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