Discours du Premier Ministre Bernard CAZENEUVE au CESE

Catégorie
Vie de l'assemblée
Date de publication
Sous-titre
Séance plénière du 15 mars 2017
Corps
Mercredi 15 mars 2017
 
Seul le prononcé fait foi
 
Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
 
Je vous remercie, cher Patrick BERNASCONI, de m’avoir invité à venir prendre la parole ici, devant la troisième Assemblée de la République, un mois tout juste après le Président de la République.
 
J’ai tenu à marquer ainsi l’attachement et l’estime que le gouvernement porte à cette maison du dialogue qu’est le Conseil économique, social et environnemental.
 
Mais bien d’autres éléments tangibles témoignent de l’importance que les autorités de l’Etat accordent à ce dialogue avec les représentants du monde du travail et de la société civile.
 
Depuis le début de votre mandat il y un peu plus d’un an, le gouvernement vous a saisis à de nombreuses reprises, comme vous venez de le rappeler : 7 fois en 2016 et déjà 2 fois depuis le début de cette année.
 
J’ai demandé au Secrétaire général du gouvernement d’élaborer la synthèse des suites données à vos recommandations. J’ai pu vous remettre, il y a quelques jours, ce document qui montre que nous avons su prendre appui sur vos travaux pour faire évoluer la loi et réformer notre pays.
 
Je pense notamment aux avant-projets de lois dont votre assemblée a été saisie. Vous avez ainsi rendu un avis relatif à l’avant-projet de loi sur les territoires de montagne, en soulignant notamment l’importance que présentaient les questions liées à l’accueil, au logement et à la protection sociale des travailleurs saisonniers. La loi a pu ensuite faire droit à ces préoccupations.
 
L’avis du CESE relatif à l’avant-projet de loi sur l’égalité réelle dans les Outre-mer a montré votre volonté de vous associer à l’ambition que le Gouvernement portait au travers de ce texte et de la conforter.
 
Je pense également aux travaux que vous avez consacrés aux questions européennes, alors que nous allons célébrer, dans quelques jours, les 60 ans du traité de Rome.
 
Le gouvernement a demandé votre avis sur la construction d’un socle européen des droits sociaux fondamentaux. Et cet avis a largement inspiré la contribution que la France a remise à la Commission européenne sur ce sujet fondamental pour l’avenir de l’Europe et pour sa cohésion.
 
De la même manière, vos travaux sur le travail détaché, qui sont un peu plus anciens, ont eux aussi permis d’éclairer la décision publique sur ce sujet complexe. Ils ont inspiré les nombreuses dispositions législatives que nous avons prises ces dernières années pour lutter contre la fraude au détachement.
 
Mais au-delà des saisines formelles du gouvernement, le CESE joue un rôle fondamental pour éclairer les pouvoirs publics sur les grands enjeux de notre temps. L’ensemble de vos travaux nourrit ainsi notre réflexion et la réflexion des parlementaires.
 
Je pense par exemple aux travaux que vous avez conduits sur des sujets majeurs tels que la justice climatique, la transition numérique ou l’équilibre des relations commerciales dans le secteur alimentaire.
 
Je ne peux évidemment pas me montrer exhaustif dans cette énumération. La synthèse élaborée par le Secrétariat général du gouvernement à ma demande sur les suites données par le gouvernement à vos recommandations compte pas moins de 25 pages, ce qui permet de mesurer toute l’étendue de votre influence.
 
Vous avez pour votre part souligné, monsieur le Président, l’importance toute particulière de l’avis que le CESE a rendu, à la demande du gouvernement, sur le développement de la culture du dialogue social.
 
Je sais comme vous que le contexte de l’élection présidentielle se prête à la remise en cause du rôle et de la place du dialogue social dans notre pays. Au sein d’une certaine famille de pensée, on oppose volontiers, un peu hâtivement, les exigences de ce dialogue à celles de l’efficacité économique. Il faut cependant rappeler que l’Europe compte de grandes nations bâties sur le dialogue social et qui ont fait la preuve de leur efficience économique. Il est donc possible de concilier le souci légitime de l’efficacité, l’exigence de cohésion sociale et la prise en compte des questions environnementales. Je dirais même que ces trois objectifs seront d’autant plus à portée de main qu’ils seront poursuivis de façon coordonnée. C’est pourquoi la France doit continuer à faire partie des pays qui placent le dialogue des partenaires sociaux au coeur de leur fonctionnement collectif.
 
Vous venez de me faire part, monsieur le Président, de votre projet d’ouvrir encore votre Conseil et d’écouter la parole des Français à travers un mécanisme de pétition citoyenne. Je ne peux que souscrire à cette idée qui enrichira le débat public et bénéficiera à la vie démocratique dans notre pays.
 
Mais un tel mécanisme n’a pas vocation, bien entendu, à remettre en cause le rôle des corps intermédiaires dans notre démocratie. Car ce sont aussi les organisations syndicales et patronales, les associations, les mouvements qui sont ici représentés, qui permettent à notre démocratie de demeurer vivante et de fonctionner de façon aussi apaisée que possible.
 
Ce que représente votre Assemblée, c’est au fond la recherche de la cohésion sociale ; c’est la volonté de surmonter les désaccords et les contradictions qui peuvent exister au sein de notre société ; c’est la capacité de la faire progresser à travers le dialogue, dans le respect de l’autre et par la recherche du compromis.
 
Dans cette perspective, je voudrais m’arrêter un instant sur le rôle que tient la maîtrise de la langue française pour le bon fonctionnement de notre pacte national.
 
Car la maîtrise de la langue française n’est pas seulement une compétence scolaire ou professionnelle ; elle est aussi une compétence sociale, indispensable à l’exercice de la citoyenneté. Sous la Convention, le comité de l’Instruction publique avait ainsi proposé, sur le rapport de BARRERE, de nommer un instituteur de langue française dans toutes les communes des départements où l’on parlait un idiome étranger.
 
En effet, la langue participe de la construction de l’identité des personnes et du sentiment d'appartenance à la collectivité nationale. Langue de la République, la langue française doit être la langue de l'intégration. C'est par la maîtrise de la langue que les habitants de ce pays participent à la vie sociale et s'intègrent dans le monde du travail. C'est par la langue qu’ils s’imprègnent de la connaissance de la société française, qu’ils se familiarisent avec ses valeurs et avec sa culture.
 
A l’inverse une faible maîtrise du français risque de conduire, on le sait, à l'exclusion et au repli sur soi. C’est pourquoi tous les enfants de la République doivent se sentir pleinement à l’aise avec la langue française et tous les adultes résidant dans notre pays doivent être en capacité d’approfondir leur maîtrise du français.
 
Pour autant je ne crois pas que la France doive interdire à des ressortissants d’autres pays, et en particulier aux ressortissants des autres pays européens, de venir travailler sur son sol au prétexte qu’ils ne maîtrisent pas parfaitement sa langue.
 
Vous savez que certaines collectivités ont récemment pris des mesures en vue d’exclure des marchés publics les entreprises dont tous les salariés ne parlent pas le français, ou qui ne disposent pas d’un traducteur à titre permanent. Leurs élus ne font cependant pas mystère de ce que ces clauses ne sont pas inspirées par l’amour de notre langue, mais par l’objectif de faire obstacle à la concurrence d’entreprises étrangères faisant appel à des travailleurs détachés. Et ils ont peine à cacher qu’ils espèrent en tirer un profit électoral.
 
Comme vous le savez, mon gouvernement, comme ceux de Manuel VALLS et Jean-Marc AYRAULT auparavant, lutte avec une très grande fermeté contre les fraudes au travail détaché. Les préfets ont encore récemment fermé sur ce motif plusieurs importants chantiers, par exemple en Bretagne et en Rhône-Alpes-Auvergne. A notre initiative et, comme je l’ai dit, avec votre concours, une négociation a été engagée afin de réviser la directive de 1993 sur les travailleurs détachés en encadrant davantage les conditions de leur séjour.
 
Je crois donc être bien placé pour vous dire que l’on peut, en cette matière, lutter contre les fraudes et contre les excès sans prendre, au mépris du droit et par pur calcul électoraliste, des mesures ouvertement discriminatoires à l’égard d’entreprises étrangères et qui seront infailliblement condamnées comme telles par n’importe quel tribunal.
 
J’ajoute que ces mesures sont en outre inutiles au regard de l’objectif de sécurité des chantiers, puisque le code du travail prévoit déjà des dispositions beaucoup plus précises pour y répondre. Elles constituent donc une provocation gratuite, contraire aux intérêts de la France – et contraire aussi, bien entendu, aux intérêts des 150 000 salariés français qui sont aujourd’hui détachés dans un autre pays européen et qui risquent d’être pénalisés par des mesures de rétorsion à la suite de ces initiatives irresponsables.
 
Nous ne devons pas utiliser la langue comme un simple prétexte pour ériger des barrières contre nos voisins. Je sais que les partenaires sociaux qui sont ici représentés, les organisations syndicales comme les organisations d’employeurs, partagent avec moi cette conviction.
 
En revanche, l’apprentissage du français constitue, bien entendu, un enjeu majeur pour ceux qui arrivent en France et qui souhaitent s’y établir de façon durable. C’est là une des clés de leur intégration et c’est pourquoi nous avons considérablement renforcé, avec la loi du 7 mars 2016 sur le droit des étrangers, la formation linguistique à laquelle ont accès les primo-arrivants dans le cadre de leur « contrat d’intégration » - ainsi, du reste, que leur formation aux valeurs de la République.
 
Ce souci doit nous guider autant à l’égard des enfants de familles étrangères que de leurs parents. On sait du reste que ce sont bien souvent les enfants, dans les familles non francophones, qui apportent dans leur foyer la langue apprise à l’école ; et que les parents, réciproquement, s’astreignent à parler suffisamment le français pour communiquer avec les enseignants afin de s’assurer de la réussite scolaire de leurs enfants.
 
Au demeurant l’enjeu principal dans ce domaine, et dont on parle moins, malheureusement, réside sans doute dans la nécessité d’apporter une aide efficace aux 6 millions de Français qui rencontrent des difficultés dans la maîtrise de leur propre langue. Car c’est bien de nos concitoyens qu’il s’agit, et non de travailleurs étrangers. Un jeune Français sur dix, lors des tests passés durant les journées « défense et citoyenneté », est en effet en difficulté de lecture. Et des études plus fines montrent que ces difficultés dans la maîtrise de la langue peuvent concerner tous les âges et toucher des personnes issues de milieux professionnels et sociaux très différents.
 
Nous savons que ces difficultés se nouent souvent dès l’enfance. C’est pourquoi l’apprentissage du français a constitué l’une des priorités placées au coeur de la loi de 2013 sur la refondation de l’école. Les nouveaux programmes de l’école maternelle et de l’école élémentaire s’attachent ainsi à renforcer la maîtrise des savoirs fondamentaux, à commencer par la lecture et l’écriture. Le gouvernement a également encouragé la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, qui facilite la maîtrise précoce de la langue et contribue à renforcer l’égalité des chances tout au long du parcours scolaire.
 
A l’âge adulte, la maîtrise du français est aussi un enjeu essentiel pour l’accès à l’emploi. Un demandeur d'emploi sur dix est en situation d'illettrisme. Car même pour exécuter des tâches qui peuvent paraître simples, il faut désormais au moins savoir lire aisément une notice, une consigne, un tableau, et savoir rédiger des messages, même brefs.
 
 
Nous savons aussi que, dans le monde du travail, il peut arriver que certaines personnes désapprennent à lire et à écrire si elles n’ont pas eu souvent l’occasion de mettre ces compétences en pratique. Le jour où leur travail évolue, ou lorsqu’elles doivent changer d’emploi, elles se trouvent ainsi en très grande difficulté.
 
Le combat contre l’illettrisme est donc à la fois une exigence de solidarité à l’égard de ceux qui en souffrent et une nécessité sociale. Je veux saluer le travail courageux et opiniâtre mené depuis des années sur ce terrain par les associations, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux, avec ou sans le soutien de l’Etat.
Mais l’importance des besoins en cause nous a portés à considérer que nous ne pouvions plus nous contenter d'une telle construction empirique, qui présente nécessairement des lacunes, des chevauchements et des zones d'ombre. Ces actions éparses doivent être davantage coordonnées et ce réseau informel doit gagner en cohérence.
 
 
La France devait donc se doter d’une politique de la langue française qui soit à la hauteur de ces besoins. Nous avions besoin d'une impulsion nouvelle et c’est pourquoi le Gouvernement a décidé la création d’un délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale.
Cette institution nouvelle devra couvrir les nombreux champs concernés par la maîtrise de la langue française : le monde du travail, où l’illettrisme doit absolument reculer ; la formation des personnes étrangères non francophones, pour lesquelles l’apprentissage de notre langue est un puissant facteur d’intégration ; ou encore l’apprentissage du français dans les collectivités ultramarines.
 
J’ai confié cette mission à Thierry LE PAON, dont nous connaissons tous ici l’intérêt qu’il a porté de longue date à ces questions, et que je remercie chaleureusement. Il aura notamment pour mission d’élaborer un plan national pour la maîtrise de la langue française ; et il devra nouer, pour le mettre en oeuvre, tous les partenariats nécessaires entre l’Etat et les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, les établissements publics et le secteur associatif. Je sais comme vous qu’il possède la compétence, l’expérience et la passion nécessaires pour assumer cette tâche considérable.
 
La langue n’est pas en France un simple outil de communication. Elle est un élément de notre patrimoine auquel chaque Français est viscéralement attaché, comme le montrent les polémiques que provoquent de façon inévitable toute tentative de réforme de l’orthographe. Elle a été l’un des ciments de l’unité nationale, bien que nous sachions aujourd’hui qu’elle peut coexister paisiblement avec les autres langues de France dont nous avons appris à apprécier la richesse. Elle est aussi un trésor que nous partageons avec les 270 millions de locuteurs francophones aujourd’hui présents sur les cinq continents – ils étaient cinq fois moins nombreux lorsque RIVAROL écrivait son « Discours sur l’Universalité de la langue française. » Elle est enfin inséparable du message universel de la France « outil merveilleux trouvé dans les décombres de la colonisation » comme le disait SENGHOR.
 
Il n’est donc pas, dans la République, de mission plus belle, cher Thierry LE PAON, que de veiller à faire prospérer cette grande passion nationale : l’amour de la langue française.
 
 
Monsieur le président BERNASCONI,
Mesdames et messieurs les Conseillers,
 
Je voudrais vous dire pour conclure avec une certaine solennité que nous avons besoin de lieux tels que le Conseil économique, social et environnemental pour éclairer le débat public, pour dialoguer, pour construire ensemble une société meilleure, parce que rassemblée et apaisée.
 
Par vos travaux, vous montrez que la voie du dialogue est féconde et utile. Nous allons continuer à travailler étroitement ensemble pendant les deux mois à venir, comme nous le faisons depuis cinq ans. Nous le devons aux Français et nous le devons à notre pays car nous sommes tous animés ici par l’amour de la France et de la République.
 
Je vous remercie.

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